GENOCIDE CAMBODGIEN

Il y a trente ans,Phnom Penh…

NOUVELOBS.COM | 17.04.05 | 17:07

Le 17 avril 1975, la capitale cambodgienne est envahie par les khmers rouges. Le régime de terreur du maréchal Pol Pot va durer près de quatre ans.

  Le mémorial de Choeung  Ek (AP)
Le mémorial de Choeung Ek (AP)
 
I l y a trente ans, le 17 avril 1975, de jeunes soldats khmers rouges vêtus de noir et faméliques entrent dans Phnom Penh sans résistance et font évacuer la ville immédiatement, premier acte du régime de terreur de Pol Pot qui va durer près de quatre ans.
La "glorieuse révolution" du Kampuchéa démocratique (KD) se met alors en marche. Les ultra-maoïstes prennent le pouvoir au Cambodge, deux semaines avant que les communistes vietnamiens ne fassent tomber Saïgon.
Très vite, les Khmers rouges vident les villes, synonymes de toutes les perditions de l'ancien régime honni du maréchal Lon Nol soutenu par les "impérialistes" américains, tombé comme un fruit mûr, et dont ils vont s'acharner à liquider tous les représentants: hauts cadres, soldats, fonctionnaires.
En une journée, la capitale Phnom Penh est vidée de tous ses habitants, près de deux millions, auxquels les Khmers rouges affirment qu'ils ne partent que pour quelques jours, sous le prétexte de bombardements américains qui n'auront jamais lieu.

Une idéologie communiste radicale

Femmes en couches, invalides ou malades perfusés sont sommés de quitter leur lit d'hôpital pour les campagnes.
Puis ce sont tous les citadins du pays de près de huit millions d'habitants qui sont jetés sur les routes: le "peuple nouveau" doit être purgé de tous ses vices.
L'Angkar, "Organisation" suprême sans visage, dirigée par le "frère numéro un" Pol Pot, avec Nuon Chea, Khieu Samphan, Ieng Sary, Son Sen ou Ta Mok, applique une idéologie ultra-nationaliste et communiste radicale.
Elle exalte la ligne pure choisie par le Parti communiste chinois, mais veut mener sa révolution bien plus loin que celle en marche à Pékin.
"Les Khmers rouges ont défini leur variante du communisme", explique Craig Etcheson, chercheur, "ils ont porté leur révolution bien plus loin que tous leurs prédécesseurs marxistes".
L'Angkar impose progressivement l'élimination de la famille (séparations, coopératives, repas collectifs), l'abolition de la religion, de l'argent, et bouleverse jusqu'au langage et aux rapports sociaux et humains.

Le peuple meurt de faim

Les chefs khmers rouges, la plupart éduqués et formés à l'étranger, surtout en France, veulent faire table rase et construire un homme nouveau dans une société de type rural rigoureusement égalitaire.
Au nom d'une utopie agraire visant l'autarcie, ils affament et épuisent le peuple qu'ils mettent dans tout le pays aux travaux forcés au service de la production de riz et de gigantesques travaux d'irrigation, tout en l'abrutissant de propagande.
La révolution du KD est totalitaire: tortures, exécutions sommaires, grands mouvements de déportation, surveillance de chaque instant et nettoyage ethnique anticham (musulman), antivietnamien, antichinois.
A Phnom Penh, le centre de torture de Tuol Sleng voit passer au moins 15.000 hommes, femmes, enfants sommés de confesser être à la solde de la CIA, du KGB ou de Hanoï, et dont seuls sept ressortiront vivants.
En trois ans, huit mois et vingt jours d'absolue folie meurtrière, près de deux millions de Cambodgiens meurent sous la torture, de famine, de maladie, d'épuisement aux travaux forcés et de purges internes au Parti.

Génocide occulté du programme scolaire

Le durcissement impitoyable du régime en 1977, des purges internes effroyables et des défections massives accélèrent sa fin.
Fin 1978, 150.000 soldats vietnamiens déferlent sur le Cambodge après des incursions meurtrières des Khmers rouges en territoire vietnamien.
Ils les chassent du pouvoir le 7 janvier 1979.
Les impératifs géostratégiques des grandes puissances préservent les chefs khmers rouges de toutes poursuites.
Pol Pot est mort en 1998. Khieu Samphan, Nuon Chea, Ieng Sary sont toujours vivants et libres, en attendant leur hypothétique procès.
Trente ans plus tard, le Cambodge souffre toujours de l'élimination de ses élites. Il ne s'est pas réconcilié avec son passé. Les enfants n'apprennent pas le génocide à l'école.
Le pays vit avec le traumatisme de l'un des pires génocides du XXe siècle, qui a traumatisé jusqu'à la génération de ceux qui sont nés après lui.

Témoignage choc

François Ponchaud, des missions étrangères de Paris, a été témoin de la prise de Phnom Penh et de son évacuation par les Khmers rouges le 17 avril 1975. Trente ans après, le religieux français se souvient:
"Toute la nuit du 16 au 17 avril, nous avons été soumis a une pression psychologique extraordinaire. Les roquettes se sont abattues sur Phnom Penh, tuant beaucoup de gens. On attendait anxieusement l'arrivée des Khmers rouges", explique le prêtre qui a dénoncé le génocide dès 1977 dans un livre choc: "Cambodge année zéro".
"Le 17 avril, dès le lever du jour, un flot continu de réfugiés arrivait des faubourgs de la ville", note le père, du bon poste d'observation qu'était la cathédrale de Phnom Penh, avec son clocher de 60 mètres.
"Vers 7h du matin, le flot (de réfugiés) cesse. Une voiture blanche s'arrête devant l'ambassade de France", des négociations s'ouvrent (...) puis "l'armée khmère se rend".
Alors "c'est la liesse générale, jusqu'à environ 10 h. La guerre est finie! Les gens étaient très heureux, enfin ils allaient pouvoir retourner chez eux".
"On croyait qu'ils fraternisaient avec les Khmers rouges, mais c'étaient de faux Khmers rouges (..) des hommes à la solde de Lon Non, le frère du président Lon Nol, qui voulaient ravir la victoire aux Khmers rouges. C'a été un malentendu total".

Une ville complètement vide

"Les Khmers rouges disaient 'partez, partez vite, les Américains vont bombarder la ville!' C'est ainsi que toute la population de Phnom Penh, entre 2 et 6 h du soir, est partie sur les routes".
Dans Phnom Penh vidée, il ne reste plus que des Khmers rouges venus prendre une ville qu'ils s'imaginaient pleine d'Américains et de misère et qui découvrent, éberlués, le palais royal, le monument de l'Indépendance.
"Le 18 avril au matin, je pouvais certifier que la ville était complètement vide, complètement déserte", poursuit le prêtre.
"Ce qui m'a le plus marqué, c'est de voir tous les blessés et malades partir sur la route. Et la deuxième impression, très forte aussi, c'est le silence, la terreur des gens qui quittent la ville".
"Les Khmers rouges n'avaient pas besoin de donner des ordres, il suffisait qu'ils nous regardent et on se sentait tout petits devant eux. C'est ça cette violence froide, cette violence sourde des Khmers rouges".
"Au soir même, on pouvait difficilement dire "Phnom Penh libéré dans la joie", conclut le religieux.
"Déjà dans l'après-midi du 17 avril on ne pouvait plus avoir de doutes sur le régime qui s'instaurait ... un régime de fous".